Les années d'un enseignant ne s'écoulent pas toujours comme un long fleuve tranquille

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Lire deux extraits du livre

Un court extrait du chapitre 3

sur la pédagogie

 

(...) Certains considèrent qu'il s'agit d'une science. Toutefois, peut-on affirmer qu'elle en est une ? Ou alors, c'est une science assez peu exacte. Certes les méthodes pédagogiques sont développées à partir de l'expérience et de l'observation. De plus, en pédagogie rien n'est figé, comme dans n'importe quelle science où la connaissance peut être amenée à évoluer ou peut faire l'objet de contradictions. Mais pour qu'il s'agisse d'une science à part entière, faut-il aussi avoir les moyens de vérifier les résultats, de les mesurer, pas seulement à court terme, jusque là c'est facile, mais sur le long terme, le très long terme, car la finalité des apprentissages, ce n'est pas bien entendu l'interro du lendemain ni l'orientation du surlendemain. (...)

 

 

 

 

 

 

Le début du chapitre 6

 

A l'intérieur de la Cité de Carcassonne, à l'écart des innombrables touristes, des boutiques de souvenirs, des restaurants et des attractions médiévales, se trouve un musée. Rien d'étonnant dans un lieu où l'on s'intéresse à l'histoire. Il faut passer devant pour savoir qu'il existe, dans une petite rue, presque une impasse, à moins d'être un voyageur qui ne lâche pas de ses mains le guide des musées de la région qu'il parcourt.

 

(...), touristes nous aussi, épuisés après avoir longuement déambulé sous un soleil de plomb, nous observions, éloigné de la foule, les façades de quelques bâtisses anciennes, lorsque nous aperçûmes au fond d'une cour un panneau qui nous proposait une visite commentée. Nous nous sommes avancés. Derrière ces murs, pas une épée, pas une armure, mais des pupitres d'écolier, des porte-plumes, des cartes de géographie. Il s'agissait du musée de l'école, installé justement dans une ancienne école. Pourquoi avait-il sa place derrière ces célèbres remparts ? Sans doute pour donner une deuxième vie à cet endroit qui n'accueille probablement plus d'élèves depuis longtemps. Puis rien n'interdit de mélanger les périodes de l'histoire, surtout quand on peut bénéficier d'un public aussi nombreux à proximité !

 

Ses diverses salles retracent l'école d'antan depuis l'instruction obligatoire, laïque et gratuite pour les deux sexes, voulue par Jules Ferry, jusqu'aux années soixante. Ceux qui ont connu l'une de ces époques ayant traversé presque un siècle peuvent se remémorer des moments lointains et même se soumettre de nouveau à quelques exercices, tels que l'écriture à la plume ; les autres visiteurs découvrent l'évolution à travers les décennies de ce que la République a de plus cher.

 

Tout y est, comme si le temps avait reculé de quelques pas et comme si les cahiers posés sur des pupitres parfaitement alignés n'attendaient rien d'autre que le son de la cloche indiquant la fin de la récréation pour voir les enfants en culotte courte entrer en silence et reprendre leur activité. Le passé est tellement bien reproduit que l'on imagine les instants qui ont marqué ces époques. Pourtant, soudain, je me suis demandé à quel point l'école d'aujourd'hui est si différente de celle de jadis. Tant de choses ont changé. Indiscutablement. Mais est-ce seulement sur l'apparence ou s'agit-il d'une transformation profonde ?

 

Déjà, les cycles ne sont pas comparables. L'école primaire communale comptait des classes supérieures au dessus du cours moyen et elle préparait au diplôme du certificat d'études qui fit la fierté de centaines de milliers de familles jusqu'au milieu du XXe siècle, en perte de vitesse ensuite jusqu'à son abandon. Ce diplôme était toutefois antérieur à Jules Ferry car créé quinze ans plus tôt, en 1866, sous une forme embryonnaire améliorée ensuite. Pour la plupart, la scolarité s'arrêtait là. Les collèges et lycées existaient, mais n'étaient pas équivalents à ceux de maintenant, et surtout peu répandus. Entre parenthèses, précisons que les lois scolaires de la fin du XIXe siècle ne sont qu'une étape, certes importante, après une lente évolution, principalement depuis la fin de l'ancien régime.

 

Mais ne descendons pas aussi loin et attardons-nous sur ces changements apparus après les années soixante.

 

Aujourd'hui, le professeur est toujours là. Sa présence semblerait immuable ; il a seulement perdu son titre d'instituteur dans le primaire. Mais il n'est plus sur son estrade, supprimée après 1968, bien qu'il en y ait encore dans quelques établissements, pas plus hautes qu'une simple marche, les autres ayant toutes disparu. Supprimée pour que, symboliquement, il ne se montre plus supérieur à ses élèves mais à un niveau égal. Car on voulait une révolution pédagogique. L'autorité en aurait souffert. On tente alors de la rétablir, l'autorité bien sûr, pas la surélévation en bois ! Par contre, si le professeur n'est plus perché, ne voyant plus comme avant les élèves assis aux derniers rangs, il est resté face à eux, à part dans des situations particulières telles que des travaux de groupe. Derrière lui, il n'y a pratiquement plus de tableau noir où l'on écrivait à la craie. Ses vêtements ne sont ainsi plus couverts de fines poussières, quoiqu'il portait une blouse, ses élèves aussi. Mais on écrit quand-même, désormais avec des feutres jetables sur un tableau blanc. Et sur les cahiers, ce n'est plus l'incontournable plume sergent-major qui gratte des pages ternes, mais la bille du stylo qui glisse sur un papier traité et sans défaut. Le drapeau français est de nouveau présent, mais doublé du drapeau européen. Il avait quitté la plupart des salles. Les cartes ne sont plus suspendues aux murs, mais projetées à l'aide d'outils numériques. Cela permet de les actualiser après chaque bouleversement géopolitique. Les PC reliés à Internet et les salles de documentation, appelées CDIs dans les collèges et lycées, rendraient l'élève autonome dans des activités de recherche. Deviendrait-il imbattable face à la connaissance ? L'âne, lui, n'est plus coiffé et il ne regarde plus le coin ! Doit-on penser que l'humiliation a été définitivement abolie ? Sinon, le maître explique toujours la leçon que les élèves apprennent, ou pas, pour être ensuite évalués, notés, sanctionnés quelquefois. De plus, on continue de lever le doigt ou la main pour prendre la parole. Et depuis que l'école existe, tout ce monde n'a qu'une hâte : entendre la sonnerie pour pouvoir filer dans le couloir.

 

En somme, près d'un siècle et demi après Jules Ferry, l'école reste l'école, avec ce qu'elle a de bon et ce qu'elle a d'imparfait, avec des élèves qui réussissent et d'autres qui accumulent des lacunes, avec ceux qui l'aiment et ceux pour qui elle est une corvée. Malgré tout, de la petite enfance jusqu'au baccalauréat, elle fait au mieux en essayant de s'accommoder à l'évolution de la société, à moins que ce soit cette dernière qui la pousse à s'adapter. Allons savoir !

 

(...)

 

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